Terrifier les monstres

À la veille de Nyepi, jour de l’an balinais, d’hideuses silhouettes font le guet. Crochus, griffus, ailés ou rongés de furoncles, les Ogoh-ogoh, figures emblématiques de la culture locale, rivalisent de laideur pour intimider et susciter l’effroi des spectateurs. C’est que des esprits maléfiques rôdent sur Terre, y prennent leurs aises, pire ! aspirent à demeurer parmi les humains pour prospérer à leurs dépens. En faisant parader, avec force musique, fracas et éclats de voix, leurs épouvantails de bambou et de papier mâché, les Balinais espèrent chasser les monstres avant le jour du silence et de la purification.

Les Ogoh-ogoh sont des figures de l’entre-deux, de l’intervalle entre l’ici-bas et l’au-delà, entre le monde d’avant et le renouveau. Ils seront détruits ou brûlés après avoir rempli leur office, sorte de variante d’un Monsieur Carnaval au parfum d’ailleurs.

C’est une ruse des hommes pour semer la panique chez les démons. Les humains prennent en main leur destin, mais de façon déguisée, grâce à ces terribles intermédiaires qu’ils vont promener et faire danser à bout de bras pendant plusieurs heures – épreuve de force – au son d’une musique traditionnelle endiablée, de chorégraphies savantes et de confrontations symboliques. Quoi de mieux pour effrayer les mauvais esprits qu’un grand vacarme, des éclats de rire ou des visages qui leur ressemblent ? Ainsi, ce sont moins les Ogoh-ogoh que l’on regarde finalement que ceux qui les ont créés, les animent et les accompagnent. Ceux qui vivent, chantent, espèrent et prient.

Denpasar, mars 2024

Photographies : Xavier Malafosse
Texte : Clémence Jacquot

Publié par Xavier Malafosse

Photographe indépendant basé en Asie du Sud-Est.

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